Le rassemblement des amis et soutiens de Marion Maréchal, ce week-end à Paris, est la confirmation d’une ambition, mais c’est surtout l’affirmation d’une idéologie : celle d’une droite identitaire qui assume sans équivoque une conception ethnique de la Nation tournant résolument le dos à l’héritage des Lumières et aux valeurs cardinales de la démocratie.
Longtemps, l’extrême-droite s’en est tenue au gueuloir : le FN première époque assumait la xénophobie de comptoir. Puis est venu, avec Marine Le Pen, le temps de la « dédiabolisation » et l’exercice des responsabilités locales. Voici que s’annonce la troisième génération, non seulement des Le Pen, mais de l’extrême-droite : finies les vociférations et les calembours, voici venir un anti-universalisme instruit, une xénophobie de diagrammes et de chiffres, un populisme sophistiqué et souriant, brutal mais convenable, border-line et bien élevé.
La forme n’a jamais été si lisse, ni le fond si radical. Car enfin, qu’a-t-on entendu ? Une demi-heure d’imprécation contre l’islam, le féminisme, les bobos, les jeunes, la gauche, les intellectuels, de la part d’un Éric Zemmour à qui la chaîne LCI a complaisamment laissé libre antenne ? Une charge de l’ancien chevènementiste Paul-Marie Couteaux pour qui « la modernité [conduit au] nazisme » ? Oui, mais on a surtout entendu Marion Maréchal décliner le thème du « grand remplacement », récit complotiste fantasmagorique imaginé par Renaud Camus, comme s’il s’agissait d’une évidence, presque d’une banalité.
Que cette extrême-droite se prétende le rempart d’une civilisation européenne dont elle pilonne méthodiquement toutes les valeurs, qu’elle s’imagine en défenseur de la liberté, notamment celle des femmes, tout en instruisant le procès de l’égalité et des droits de l’Homme, et qu’elle assume des théories dépourvues de tout fondement scientifique, voilà qui devrait rassurer : tant d’outrance et de contradictions ne peuvent que la condamner.
On aurait bien tort d’être rassurés : dans ce monde défait qui est le nôtre, où des peurs irraisonnées se mêlent à des détresses bien réelles face à des menaces non moins réelles, c’est la radicalité de ce discours qui fait sa force. « Ils exagèrent peut-être, mais eux, au moins… ». Entendre : eux au moins ils disent les choses, eux au moins ils n’ont pas la main qui tremble, eux au moins ont la violence nécessaire pour affronter ce monde violent. Ce qui est sûr, c’est qu’ « eux au moins » ne craignent pas de se placer sur le terrain identitaire : immigration, islam, insécurité, valeurs, culture, ils n’ont aucune inhibition, pas de réserve ni de nuances. Cette extrême-droite assume, et s’assume. N’avons-nous pas déjà entendu cela ici ou là, aux Etats-Unis, au Brésil, en Hongrie ou en Italie ? On a cru jusqu’à la dernière minute que l’outrance condamnerait les Trump, Salvini et autres Bolsonaro : c’est au contraire cette outrance qui séduit, ce « no limit » revendiqué qui attire.
Regardons froidement les choses : l’air lourd du temps est identitaire. Le « narcissisme des petites différences » est partout, l’affirmation inconditionnelle de soi est dans tout, de la politique à la publicité en passant par la culture. A l’ère de l’identity pride, l’extrême-droite joue à domicile. Après l’OPA d’En Marche sur la droite modérée, c’est au tour de la droite dure, défaite et décomposée, d’être une proie facile. Quant à ceux qui, à gauche notamment, pensent qu’on peut lutter contre elle en allumant des contre-feux identitaires, ils jouent avec les allumettes du diable.
La route sera longue pour Marion Maréchal, d’autant qu’elle est attendue au tournant par sa tante ? Se reposer sur les fragilités de l’ennemi, c’est refuser d’examiner les siennes : si le grand remplacement est un fantasme, l’atomisation de la société, le pessimisme des Français et leur défiance croissante envers les institutions politiques et sociales sont des faits indiscutables.
Alors que faire ? D’abord, remiser la posture d’indignation : cela fait trente-cinq ans que cela ne marche pas, trente-cinq ans que l’extrême-droite retourne ce discours moralisateur pour mieux fustiger « l’arrogance des élites ». Ensuite, ne pas poursuivre la chimère d’une adhésion large à « progressisme » réduit aux acquêts et vide de contenu : il n’y a plus de consensus minimal possible des Gilets Jaunes aux Marcheurs et de Danièle Obono à Xavier Bertrand, pour une raison très simple, c’est que la question identitaire est passée par là et que les cadres qui structuraient la vie politique, et notamment le clivage droite/gauche, ont été éventrés. L’extrême-droite ne sera jamais majoritaire ? Mais elle n’a même plus besoin de chercher à l’être : c’est la dislocation du paysage qui pourrait un jour lui permettre, dans un monde d’où seules des minorités surnagent, d’apparaître comme la moins petite et la plus cohérente idéologiquement des minorités.
La seule issue, c’est de dépasser la question identitaire. De la refuser net. De poser la nation comme un pacte entre des citoyens, c’est-à-dire des consciences libres et éclairées, sur le fondement de valeurs d’égalité et de liberté. C’est de rejeter en bloc les solutions radicales : l’extrême-droite veut des lois d’exception, en mettant la Constitution entre parenthèses et en rompant tous nos engagements internationaux. Nous, nous voulons seulement que les lois existantes soient appliquées, et que les droits républicains soit rétablis partout où la puissance publique s’est désengagée. C’est enfin de traiter les vrais problèmes, seule façon de tordre le cou aux vrais fantasmes, en rendant la société plus juste et plus sûre, ce qui implique de consolider les services publics et de mieux faire respecter l’Etat de droit – pour tout le monde, élites comprises.
Au fond, tous les identitaires ont un ennemi commun : la République. C’est elle qu’il faut leur opposer, sans relâche. C’est elle que demandent et attendent les Français, elle qui protège tous les citoyens, quelle que soit leur origine, leur condition sociale ou leurs convictions. Le vrai clivage, aujourd’hui, ne passe pas entre progressistes et populistes : il passe entre les républicains et les identitaires. Notre force : nous savons où nous sommes, qui nous sommes, et ce que nous avons à faire.